vendredi 8 décembre 2006

Je digère donc je suis.

Brown Brother

8 Décembre 2006


La trouvaille de la fécalité


L’envie de créer est une chose.

Et puis une autre est de passer aux actes.

Les idées nous traversent. On les observe par le regard de l’esprit. Et c’est bien la rétine de l’intelligence qui les rend transparents. Qui les dématérialise. Peut-être dans le but de soulager le corps de ne pas avoir à passer à l’acte… plus certainement pour se soulager de ne pas avoir à endosser de responsabilité vis-à-vis du monde extérieur.

Les pensées, elles, elles peuvent rester à l’intérieur. Mais les actes ? Les créations ? Les actions soumises aux autres êtres sont-elles si difficiles à assumer ? Peuvent-elles engendrer un sentiment de gêne si grand qu’il en serait condamnable ? En deviendrait-il impur. Sale. Impropre !?

Que ressentent ceux qui parviennent à atteindre un comportement « créateur » - définissons ce dernier comme l’énergie, et ses actes, orientés vers un objectif de production originale à l’attention du monde extérieur – que ressentent donc tout ceux qui créent ?

Je devine une sensation bien plus jouissive que terrifiante… les créateurs sont-ils épouvantés à l’idée de soumettre aux autres l’objet du fruit de la cristallisation d’une énergie bien personnelle ? Une énergie tellement personnelle qu’elle est unique, inimitable, reconnaissable même, et prodiguée dans un contexte de forte générosité finalement… Alors quoi : créer serait pénible ? à ce point douloureux et intime qu’il serait dangereux d’« agir » ?

Observer le plaisir du créateur – car oui, il existe bien un plaisir intense à créer, à développer et mettre sur pied une invention de son propre génie – se résume en l’observation de sa fécalité. L’idée – une de plus…- est troublante. Ici un peu abrupte mais…écoutez voir :

Il existe un phénomène bien réel qui consiste à se rendre compte des réactions de l’organisme durant la phase d’action. Une fois le niveau d’attention atteint (ou de concentration), et que le processus de production est en cours – que les premières lignes s’impriment sur la feuille pour un écrivain, que les premières mélodies s’accrochent sur les portées du musicien,… - il est presque inévitable de retenir une envie de faire…de faire…de faire caca ! oui, un irrépressible besoin de faire caca agite votre corps…jusqu’à ce que celui-ci se lève de la chaise pour se rassoir un peu plus loin. Ce mouvement fécal est la conséquence d’une intention créatrice en cours de réalisation : votre système organique non seulement répond à votre mise en mouvement corporelle – cette « action » - mais en plus il vous aide ! Il participe lui aussi à l’élan créatif, à ce schéma de la production qui voit se succéder la pensée, la conception, la digestion, la création, et l’observation du travail accompli. Cette participation du système organique opère à la troisième phase : celle de digestion du concept. Elle est cruciale en cela qu’elle souligne la validité de la phase majeure de fabrication : la phase de création. Bien souvent d’ailleurs, elle intervient peu après le début des passages aux actes.

Plus simplement :

Idée mentale => Actions du corps => Réactions des organes (bien avant une réaction du monde extérieur).

La fécalité s’avère intimement liée à la création. Une véritable envie de faire caca n’est que le signe d’un processus de création en marche ! La transposition physique (sur votre propre corps) du phénomène en cours.

Et si le caca porte sur lui ce blâme insoutenable de la honte, de l’impureté, c’est avant tout afin de limiter l’homme dans ses initiatives. Artaud voyait juste en repoussant la divinité par l’acceptation de la fécalité comme une réalité acceptable : Dieu a peut-être bien posé ce jugement dépréciatif sur notre fécalité afin de nous limiter dans nos entreprises, dans nos évolutions personnelles, dans nos révolutions.

Soyons légers avec nos cacas – d’ailleurs comment font-ils pour rester en surface s’ils ne sont pas eux-même légers ? David je te pose la question – soyons bienveillants à l’égard de la fécalité, et nous nous libérerons un peu plus de la prison mentale qui nous plombe bien souvent, elle, dans une passivité mortelle, dans l’hébétude et la crainte, dans la dépendance. Dans le chiant.

…Vive le chier, vive la création ! (à chanter sur l’air de « I’m just a Gigolo »)

¤



samedi 25 novembre 2006

Pour finir avec le jugement de dieu

Antonin Artaud
1947

La recherche de la fécalité


Là où çà sent la merde
çà sent l'être
L'homme aurait très bien pu ne pas chier,
ne pas ouvrir la poche anale,
mais il a choisi de chier
comme il aurait choisi de vivre
au lieu de consentir à vivre mort.

C'est que pour ne pas faire caca,
il lui aurait fallu consentir
à ne pas être,
mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être,
c'est-à-dire à mourir vivant.

Il y a dans l'être
quelque chose de particulièrement tentant pour l'homme
et ce quelque chose est justement
LE CACA.

Pour exister il suffit de se laisser aller à être,
mais pour vivre
il faut être quelqu'un,
il faut avoir un os,
ne pas avoir peur de montrer l'os,
et de perdre la viande en passant

L'homme a toujours mieux aimer la viande
que la terre des os
C'est qu'il n'y avait que de la terre et du bois
d'os,
et il lui a fallu gagner sa viande,
il n'y avait que du fer et du feu
et pas de merde,
et l'homme a eu peur de perdre la merde
et, pour cela, sacrifié le sang.

Pour avoir de la merde,
c'est-à-dire de la viande,
là où il n'y avait que du sang
et de la ferraille d'ossements
et où il n'y avait pas à gagner d'être
mais où il n'y avait qu'à perdre la vie.

o reche modo
to edire
di za
tau dari
do padera coco


Là, l'homme s'est retiré et il a fui.

Alors les bêtes l'ont mangé.

Ce ne fut pas un viol,
il s'est prêté à l'obscène repas.
Il y a trouvé du goût,
il a appris lui-même
à faire la bête
et à manger le rat
délicatement.

Et d'où vient cette abjection de la saleté ?

De ce que le monde n'est pas encore constitué,
ou de ce que l'homme n'a qu'une petite idée du monde
et qu'il veut éternellement la garder ?

Cela vient de ce que l'homme,
un beau jour,
a arrêté
l'idée du monde.

Deux routes s'offraient à lui :
celle de l'infini dehors,
celle de l'infini dedans.

Et il a choisi l'infime dedans.
Là où il n'y a qu'à presser
le rat,
la langue,
l'anus
ou le gland

Et dieu, dieu lui-même a pressé le mouvement,

Dieu est-il un être ?
s'il en est un c'est de la merde
s'il n'en est pas un
il n'est pas.
Or il n'est pas,
mais comme le vide qui avance avec toutes les formes
dont la représentation la plus parfaite
est la marche d'un groupe incalculable de morpions.

"Vous êtes fou, monsieur Artaud, et la messe?"

Je renie le baptême et la messe.
Il n'y a pas d'acte humain
qui, sur le plan érotique interne,
soit plus pernicieux que la descente
du soi-disant Jésus-christ
sur les autels.

On ne me croira pas
et je vois d'ici les haussements d'épaule du public
mais le nommé christ n'est autre que celui
qui en face du morpion dieu
a consenti à vivre sans corps,
alors qu'une armée d'hommes
descendue d'une croix,
où dieu croyait l'avoir depuis longtemps clouée,
s'est révolté,
et, bardée de fer,
de sang,
de feu, et d'ossements,
avance, invectivant l'Invisisble
afin d'y finir le JUGEMENT DE DIEU.

Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de Dieu, Ed. Poésie/Gallimard

La recherche de la fécalité (performed by Roger Blin)